Faut-il copier pour créer un produit original, la suite !

Yannick Joret

Yannick Joret

Je suis Lead Product Designer au sein de Hublo.

“Et toi – me direz-vous – est-ce que tu copies ?”

Excellente question, merci de me l’avoir posée 😉

Comme dit dans mon précédent article, je dois avouer que cela m’est arrivé mais quel soulagement lorsque j’ai lu “Discovery Discipline” (écrit par Remi Guyot) et de savoir, qu’à présent cela est autorisé voire recommandé…

Aussi, nous utilisons systématiquement chez Hublo cette méthodologie afin de, notamment, détecter chez les autres produits des références qui vont guider notre discovery, pour nous permettre ainsi de rapidement délivrer des solutions et donc, de la valeur à nos utilisateurs… Après tout, si d’autres designers ont fait ce travail de recherche bien avant nous, pourquoi ne pas s’en servir ?

Design et ego

Pour qui créons-nous ? Quel est le but du designer entre son envie de répondre aux besoins de ses utilisateurs et à son désir de singularité et de reconnaissance ?

Afin de répondre à cette question, je vous propose de catégoriser les designers en 3 types :

Designer cynique

Tel que Raymond Loewy, dans les années 30, qui considérait le design comme l’arme du marketing pour mieux vendre. Il a par ailleurs écrit un manifeste « La laideur se vend mal » qui sublime son parcours met en exergue sa volonté d’industrialiser le “beau” afin d’améliorer la vie des consommateurs, tout en conservant la rentabilité de ses projets.

Designer narcissique

Les designers qui se retrouvent à la “fashion week” du design (Dribble) ont tendance à ignorer les meilleures pratiques et les conventions de conception établies et de se concentrer simplement sur la façade. Ils ne sont pas centrés sur les utilisateur et vont, hélas, copier les modes, donnant ainsi un modèle aux autres designers complètement biaisé…

Designer humaniste

Le designer produit non pas pour lui même mais pour sa finalité, qu’il profite à l’humain et à la personne qui l’utilise.

Cette citation de Paul Valéry illustre ce designer humaniste toujours plus tourné vers les autres :

“Quoi de plus original que le bien délicatement fait ? N'est-ce point se distinguer de ses semblables que de les aimer ?”

L’originalité, dans quel but ?

L’originalité tient-elle donc à ce désir de reconnaissance personnelle qui a pour conséquence de mettre de côté toutes les règles de conception établies, ou alors de toucher un humain afin de provoquer, chez lui, une réponse émotionnelle ?

En quoi cette réponse émotionnelle va-t-elle impacter l’originalité d’un produit ?

Pour répondre à ces questions, il y a un circuit émotionnel important à connaître pour comprendre le pouvoir des émotions dans notre cerveau. Joseph LeDoux, neurologue américain, a été le premier à montrer le rôle central de l’amygdale dans le circuit émotionnel de notre cerveau. Ce petit organe explique que l’Homme est capable d’agir suite à une émotion avant même que son système de pensée ait pu prendre une décision.

« Anatomiquement, le système qui gouverne les émotions peut agir indépendamment du néocortex. Certaines réactions et certains souvenirs émotionnels peuvent se former sans la moindre intervention de la conscience, de la cognition », décrit Joseph LeDoux.

Quand le cerveau détecte un événement générant une forte charge émotionnelle, il secrète de la dopamine. Elle joue un rôle dans la régulation de la cognition, de la mémoire, de la motivation, de l’humeur, de l’attention et de l’apprentissage. On peut considérer qu’elle agit sur le cerveau comme une sorte de post-it (et je sais que vous adorez tous les post-its !) sur lequel serait inscrit « important, à retenir ! ».

L’importance des émotions

Les émotions sont inséparables de la cognition et même une part nécessaire de celle-ci. Vous l’aurez compris, le rôle du designer, dans la génération des émotions, est plus que primordial : il permet d’ancrer un produit durablement afin que celui-ci corresponde au modèle mental de ses utilisateurs… mais comment cela se concrétise-t-il ?

Don Norman, co-fondateur du NN Group, a défini 3 niveaux de design d’engagement émotionnel avec un produit, sur la base de la théorie des émotions : viscéral, comportemental et réflectif. Un bon design favorise les 3.

  • Le niveau viscéral : première impression, essentiellement visuelle, de l’utilisateur lorsqu’il découvre le produit. Si elle est forte, elle favorise l’engagement, l’envie de commencer l’interaction. Pour un objet, c’est son apparence externe qui séduit et donne envie de le toucher ou d’interagir.
  • Le niveau comportemental : ressenti lors de l’interaction. Dans la plupart des cas, le but visé est que l’utilisateur, même de façon inconsciente, se sente en contrôle et particulièrement performant lors de l’interaction. Ce sont tous les détails qui rendent l’interaction fluide et qui enchantent lorsqu’on les découvre consciemment.
  • Le niveau réflectif : Ce niveau est encore plus inconscient que le précédent. Il s’agit ici de l’image que l’utilisateur projette sur les autres lorsqu’il utilise le produit. Par exemple, personne n’achète une montre à 13000€ uniquement pour lire l’heure. C’est davantage pour la collection, l’image statutaire et toutes les histoires que l’on pourra raconter sur le produit, et donc sur soi. Dans ce cas, le design et le storytelling du produit ont un rôle capital.

Conventions de conception

Même si, en tant que concepteur, vous vous passionnez pour votre produit, les utilisateurs se soucient bien plus de l’utilité. Ils n’ont pas envie d’apprendre votre application, ni de se lancer dans un voyage de découverte ou d’expérimentation pour voir ce qui fonctionne en essayant de faire glisser des éléments dans l’interface utilisateur. Les conventions de conception, telles que les heuristiques de Nielsen, qu’il s’agisse de conception de produits numériques ou de conception industrielle – par exemple une voiture ou un vélo – sont ancrées dans le comportement humain, la mécanique, la physique, les sciences et des recherches approfondies. Elles suivent les meilleures pratiques et les attentes de l’homme quant au fonctionnement des choses parce que nous y sommes habitués, ayant suivi ces conventions depuis des lustres. Ces conventions ont été élaborées par essais et erreurs et se sont avérées très efficaces au fil du temps, un peu comme l’évolution.

Utilisabilité

Dans cette optique de rendre une interface utilisable, l’utilisabilité est un attribut de qualité qui évalue la facilité d’utilisation des interfaces utilisateur. Le mot “utilisabilité” fait également référence aux méthodes permettant d’améliorer la facilité d’utilisation pendant le processus de conception. L’utilisabilité est définie par 5 composantes de qualité :

  • Efficacité : en combien de temps arrivent-ils à réaliser une tâche ?
  • Mémorisation : lorsque les utilisateurs reviennent sur l’interface après une période de non-utilisation, avec quelle facilité peuvent-ils rétablir leur compétence ?
  • Apprentissage : dans quelle mesure est-il facile pour les utilisateurs d’accomplir des tâches de base la première fois qu’ils utilisent le produit ?
  • Satisfaction : à quel point l’interface est agréable à utiliser ?
  • Erreurs : combien d’erreurs font-ils et comment arrivent-ils à les corriger ?


Au sein de l’équipe Product, nous avons pris le parti d’évaluer l’utilisabilité de nos parcours principaux, les happy paths, en nous basant sur une méthodologie : l’inspection cognitive. En effet, grâce à l’expertise des designers et leur capacité à intégrer ces heuristiques, nous avons la capacité de “cartographier” rapidement l’expérience utilisateur et de détecter les potentiels points de frictions.

Mais alors, en quoi se ressembler favorise l’originalité d’un produit ?

En effet, qu’est-ce qui permet de ne pas casser les codes existants de la conception d’un produit tout en rendant l’expérience utilisateur unique ? Et bien pour résumer, on peut dire qu’il faut :

  • créer des modèles récurrents basés sur les conventions de conception afin que l’utilisateur n’ai pas à réapprendre constamment l’interface ;
  • augmenter le degré d’affordance d’une innovation pour ancrer le produit dans esprit de l’utilisateur, car les habitudes ancrées ne s’effacent pas si facilement ;
  • Mettre de la séduction au coeur de l’usage… avec un design séduisant on se sent bien. Cela rend plus créatif et donc à même de résoudre des problèmes sur lesquels on travaille. C’est pour ces raisons que les interfaces émotionnelles fonctionnent mieux, leur conférant ainsi toute leur originalité.

 

En résumé, l’originalité d’un produit tient dans sa faculté à reprendre des codes de conception éprouvés depuis des décennies tout en provoquant une émotion chez l’utilisateur.

« J’ai appris que les gens oublieront ce que vous avez dit, les gens oublieront ce que vous avez fait, mais les gens n’oublieront jamais ce que vous leur avez fait ressentir. »
Maya Angelou, écrivaine, poète et icône de la lutte pour les droits civiques

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